Lettre ouverte ? Monsieur Mats Einarsson, rapporteur de la Commission des migrations, des r?fugi?s et de la population.

Cr?er un centre europ?en en m?moire des victimes des d?placements forc?s de populations et du nettoyage ethnique en oubliant les d?portations des Arm?niens est le comble du cynisme que seul un monstre aussi froid que l?administration europ?enne pouvait afficher.

Voici que l?Europe de la raison accouche d?une absurdit? aussi criminelle pour l?esprit des survivants arm?niens que le fut l?absurdit? de 1915 pour les corps de leurs parents.

La mani?re dont votre chapitre 3.1 ?voque le sort qu?ont r?serv? l?Empire ottoman et la Turquie ? la minorit? arm?nienne pendant et apr?s 1915 vaut son pesant de n?gationnisme par omission. Il semblerait en effet, selon ce texte, que seuls auraient eu lieu des massacres d?Arm?niens entre 1894 et 1897 et qu?au-del? de cette date, il ne se serait rien pass?. Alors que, justement, ces massacres impunis pr?paraient le grand chambardement qui devait avoir lieu vingt ans plus tard.

Si d?portations il y eut en 1915, ce fut dans l?unique intention d??puiser les d?port?s. Mieux, les d?portations organis?es par les Ittihadistes ?taient le masque arbitrairement l?gal du g?nocide. Il ne s?agissait pas de transfert, sinon d?un transfert ? un autre transfert. Sinon d?un d?pouillement ? un autre d?pouillement, d?une faim ? une autre faim, d?une soif ? une autre soif, d?une survivance ? une autre survivance, autrement dit d?un transfert ? un d?sert final comme une solution ? la pr?sence g?nante d?une population par le nettoyage.

? Le but de la d?portation est le n?ant ? dit l?inventeur de cette marche forc?e vers la mort, Talaat, le Grand Vizir 1915, visionnaire des ann?es nazies. Le but de la d?portation est le n?ant.

Mais, Monsieur Einarsson, si au moins le gouvernement Jeune-Turc avait donn? aux Arm?niens d?plac?s l?opportunit? de ? se refaire ? ailleurs, comme les Grecs de Turquie en Gr?ce ou les Turcs de Gr?ce en Turquie ? Mais non. Comme on jette des ordures dans un d?potoir, la Turquie a eu assez de cynisme pour destiner au d?sert de Deir-es-Zor des femmes et des enfants arm?niens, d?charn?s et mis?rables. C??tait sa mani?re de punir les Arm?niens d?avoir voulu des r?formes respectant la vie et les personnes.

Les populations de Van se battirent pour d?courager les fauteurs d?exactions contre leurs enfants. Le gouvernement de Constantinople prit la mouche et r?pliqua par la rafle du 23 avril et les d?portations de masse. Fallait-il, Monsieur Einarsson, que les Arm?niens consentent ? se laisser ?gorger comme des moutons par des Turcs ou des Kurdes devenus les bouchers d?une ? Organisation sp?ciale ? dont la t?te ?tait ? Constantinople ?

Tous les historiens vous diront que la Turquie k?maliste a perp?tu? le principe d?exclusion des minorit?s non turques ou leur assimilation forc?e qui valut au r?gime des Jeunes-Turcs des proc?s voulus par les Alli?s et vite abandonn?s par les tenants nationalistes de la nouvelle administration.

Pour exemple, dans la ville d?A?ntab qui comprenait encore 5000 Arm?niens en mai 1922, il ne restait plus que 80 chr?tiens le 4 janvier 1923. De m?me, apr?s le retrait des forces fran?aises ? Marach, les harc?lements, lapidations, boycotts et meurtres se multipliant contre les Arm?niens, ceux-ci furent forc?s ? l?exode et se r?fugi?rent ? Alep. Que dire des populations chr?tiennes (dont les Chald?ens et les Syriaques) d?Ourfa, de Malatia, de Kharpout, de Mardin et autres ?

Que dire des Arm?niens de Soumka?t, un quartier de Bakou, qui subirent un horrible pogrom en 1988 ? Que peut-on reprocher ? ces Arm?niens soucieux d??viter la folie meurtri?re des hommes en se barricadant dans leurs montagnes du Karabagh ? Il faudrait savoir qui force au d?placement des populations, les victimes qui se d?fendent ou les bourreaux qui les harc?lent.

Aujourd?hui, les survivants du g?nocide arm?nien sont humili?s par les agissements d?une Europe qui ne tient pas compte de leur m?moire. Cette Europe qui fait place nette devant une Turquie en qu?te de moralit?, en cr?ant devant elle un glacis de rapports comme le v?tre o? ne figurent ni l?obstacle de la v?rit? historique, ni celui des valeurs humanistes.

Transformer les victimes du g?nocide d?hier en victimes aujourd?hui d?un n?gationnisme bon teint n?est pas fait pour apaiser les esprits ni pour pacifier la cohabitation des peuples dans une Europe de la conscience et de la m?moire.

Rappelez-vous, Monsieur Einarsson, que le 27 janvier prochain, jour o? l’assembl?e discutera de ce texte sur le centre europ?en de la m?moire qui occulte si all?grement les d?portations g?nocidaires des Arm?niens, sera le 60?me anniversaire de la lib?ration du camp d’Auschwitz

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